THOMAS MERTON, MOINE CISTERCIEN

ET LA VIE CONTEMPLATIVE

AU-DELÀ DES RELIGION DU MONDE

(1915-1968)

 

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« Notre ouverture au bouddhisme, à l’hindouisme et aux grandes traditions d’Asie, nous offre, je crois, la chance unique d’en apprendre un peu plus sur les potentialités de nos propres traditions occidentales… L’association avec la liberté chrétienne de l’Évangile, de techniques naturelles, de grâces et de tant d’autres valeurs qui se sont manifestées en Asie, devrait nous mener finalement tous ensemble jusqu’à cette liberté pleine et transcendante qui se trouve au-delà de toutes différences culturelles purement extérieures… ».[1]

 

La mort à l’âge de cinquante-trois ans de celui que l’on appelait en religion le Père Louis, alors qu’il prenait part à une conférence multimonastique à Bangkok, provoqua un sentiment de choc dans le monde entier. Pour nombre de gens, le Père Thomas Merton représentait l’élément le plus encourageant dans l’Eglise Catholique Romaine, et cela même chez eux qui critiquaient quelques-uns de ses écrits. Le regret de la disparition soudaine jusqu’à ce jour de cet homme « au dialogue » a été senti avec une particulière acuité parmi les personnes aspirant le rapprochement des religions, dépassant les expressions superficielles de bonne volonté. Nombreux, en effet, sont ceux qui en sont venus à voir, avec Thomas Merton, que cet échange sans précédent, au travers de ce qui paraissait autrefois des barrières religieuses infranchissables, correspond à une nécessité spirituelle très actuelle, elle-même sous-produit de la crise par laquelle passent aujourd’hui, à des degrés divers, les Eglises chrétiennes et les autres religions. Pouvoir, et vouloir reconnaître l’action du Suprême Esprit de quelque façon qu’Il veuille se manifester – que ce soit au-dedans ou en dehors de la périphérie de nos propres convictions personnelles et traditionnelles – est devenu, un fait dans le monde actuel, une condition première même pour recouvrer l’équilibre intellectuel dans un monde qui a virtuellement écarté tout ce que représente le mot « religion ».

 

Le Père Thomas Merton écrivit :

 

Le moine ne doit pas s’imaginer que dans un temps de chaos comme le nôtre, sa seule fonction est de préserver des usages anciens. Certes ces usages et ses coutumes sont nécessaires, ils ont leur valeur pour autant qu’ils aident à vivre avec une conscience plus libre le Mystère du Christ. Le passé doit survivre et le moine est le gardien du passé. Mais le monastère doit être autre chose qu’un musée. Si le moine ne fait que maintenir debout des monuments de l’art, ou préserver des documents de la littérature et de la pensée qui sans lui périraient, il n’est pas ce qu’il doit être. Il périra avec ce qui périt autour de lui.

 

Le moine n’existe pas pour préserver quoi que ce soit, même pas la religion ou la contemplation. Son rôle n’est pas de garder vivant dans le monde le souvenir de Dieu. Dieu ne dépend de personne pour vivre et agir dans le monde, pas même de ses moines ! Au contraire, le rôle du moine en notre temps est de se garder vivant lui-même par son union à Dieu.

 

A notre époque où tout le monde est emporté dans une lutte culturelle et politique, le moine a comme premier devoir d’être moine, un homme de Dieu, un homme vivant de Dieu et pour Lui seul. Alors il préservera ce qui est vraiment riche et digne de vivre dans sa tradition monastique et dans le Christianisme.

 

Thomas Merton

Basic Principles of Monastic Spirituality

Gethsémani 1957

 

Thomas Merton, rédacteur ! Comme il se souvient avoir souvent hésité au moment de mettre une signature au bas des articles, ce collaborateur si fidèle et précieux pour les contemplatifs des religions du monde. Ce conflit entre le moine de Gethsémani qu’il était, et l’écrivain déjà connu, le tourmenta parfois. Pas plus que ces ancêtres cisterciens, il n’a jamais cru devoir renoncer à l’art d’écrire, mais les exigences de la publication et du succès lui pesèrent parfois. Dès La nuit privée d’étoiles, qui rapporte ses premières années de vie monastique, Thomas Merton écrivit : « Je commence à comprendre. Car vous m’avez amené ici, non pour porter une étiquette qui permît de me reconnaître, non pour penser à ce que je suis, mais à ce que vous êtes … Or, comment cela se fera-t-il si j’essaie de découvrir qui je suis, où et pourquoi je suis. » Vainement, artiste et mystique, il cherchera sans cesse à échapper à toute identification, et extérieurement certains geste et attitudes révélaient ce souci. Il ne s’enfermera jamais dans un système, un thème ou une opinion. Il variera, évoluera, changera souvent et cela n’ira pas sans inquiéter certains ecclésiastiques chrétiens. Lui seul tenait les fils d’une synthèse inexprimée, et encore la cherchera-t-il irrémédiablement, convaincu finalement qu’elle se trouvait au-delà de la philosophie, de la psychologie, dans une intuition que nous expérimentons parfois comme un vide, et qui est la plénitude d’un être qui ne dispose plus de lui-même (Conjectures of a Guilty Bystander, p. 243 et 32).

 

Un peu en avance sur son temps, Thomas Merton meurt alors que beaucoup de ses idées commencent à être reçues dans l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance, et de part le monde. Entre-temps, il eut pourtant la joie de voir le statut de l’ermite légalisé. Afin de voir finalement ce jour, vingt ans il attendit dans une obéissance dont son père abbé, qui le guida patiemment aussi, témoigne avec admiration. Il fut ainsi un exemple pour tous aspirants à la vie érémitique. La double tendance vers l’érémitisme d’une part, et d’autre part l’ouverture au monde bien au-delà des continents, qui s’est de plus en plus manifestée simultanément chez Thomas Merton n’est pas aussi singulière qu’il ne paraît. On peut dans l’histoire de l’Eglise et des religions relever plus d’un cas semblable. Néanmoins, Thomas Merton et saint Bernard de Clairvaux, ces deux cisterciens qui firent connaître l’Ordre au douzième siècle autant qu’au vingtième siècle, sont certes des cas exceptionnels, car tout deux ont rayonné l’un d’abord en Europe (saint Bernard), et l’autre aux Etats-Unis et autres continents au-delà de la Chrétienté, dans les traditions hindoue, tibétaine et japonaise.

 

Sollicité de collaborer à la rédaction d’un message de foi au monde moderne, Thomas Merton envoya aussitôt une lettre pour proposer un premier schéma, lettre communiquée par le destinataire de la lettre, dont voici un extrait (Abbaye de Gethsémani, le 21 août 1967).

 

« O mon frère, le contemplatif n’est pas celui qui a des visions passionnées de chérubins transportant Dieu sur leur char imaginaire, il est simplement celui qui s’est risqué dans un désert de l’esprit au-delà du langage, au-delà des idées, en ce lieu où Dieu se trouve dans la simplicité de la confiance pure, c’est-à-dire dans l’oubli de notre propre imperfection et de notre misère, afin de ne plus avoir notre esprit rivé sur lui-même, et comme cramponné, comme si penser nous faisait exister.

 

Dès lors, le message du contemplatif ne sera pas de vous dire d’aller chercher votre joie dans la jungle du langage et des problèmes qui entourent Dieu aujourd’hui. Que vous le compreniez ou non, Dieu vous aime, Il est présent en vous, Il vit en vous. Il demeure en vous, vous appelle, vous sauve et vous offre un entendement et une lumière qui ne ressemblent à rien de ce que vous avez pu trouvé dans les livres ou entendu dans les sermons. Le contemplatif n’a rien à vous dire si ce n’est pour vous assurer, car si vous osez pénétrer votre propre silence et si vous osez avancer sans crainte dans la solitude de votre propre cœur, et si vous courez le risque de partager cette solitude avec l’autre, qui est seul et cherche Dieu en vous, alors vous arriverez jusqu’à la lumière et cette capacité de comprendre, au-delà des mots et des explications, ce qui est trop proche pour qu’on l’explique. Trop proche, car c’est l’union intime, au plus profond de votre cœur, de l’Esprit de Dieu et du centre le plus secret de votre être, en sorte que vous et Lui, vous ne faites plus, en toute vérité, qu’un seul Esprit. »

 

Et, c’est exactement ce que la Bhagavad Gîtâ enseigne à travers les dix-huit chapitres, ou 700 versets :

 

« L’énergie de la lumière qui vient du soleil illumine le monde entier ; et, qui est aussi dans la lune et dans le feu ; sache que cette lumière est Mienne. (Voir aussi 13.17 et 15.06) (15.12)

Pénétrant la terre, Je soutiens tous les êtres avec Mon énergie ; devenant la sève lunaire, Je nourris toutes les plantes. (15.13)

Étant devenu le feu digestif, Je réside dans le corps de tous les êtres vivants ; et, en M’unifiant aux souffles vitaux (Prānā et Apāna), Je digère tous les types de nourriture ; et (15.14)

Je siège dans la psyché intérieure de tous les êtres. La mémoire, la connaissance du Soi, le rejet du doute et des mauvaises notions (dans le raisonnement au sujet de l’Éternel Être, ou pendant l’extase (Samādhi)) viennent de Moi. Je suis véritablement ce qui doit être connu par l’étude de tous les Védas. Je suis, vraiment, l’auteur du Vedānta et le connaisseur des Védas. (Voir aussi 6.39) (15.15) »

 

Pour Thomas Merton, l’œcuménisme s’étendait aux grandes religions non-chrétiennes et même aux penseurs athées. Sa culture riche déjà de son éducation française et anglaise, de son âme résolument américaine, assimilait des traditions orientales. Bramachari, le petit moine bouddhiste qu’il rencontra en 1937 à Chicago, fit réfléchir l’étudiant de Columbia. Il venait de Calcutta. Or, c’est à Calcutta que trente ans après, pour son premier et dernier voyage, le Père Merton atterrit. Il y fit une conférence remarquée sur « L’expérience monastique et le dialogue Orient-Occident », et il commençait ainsi :

 

« Dans toutes les grandes religions du monde il y a un petit nombre d’individus et de communautés qui s’engagent d’une manière spéciale à vivre dans toute leur exigence les conséquences et les implications de ce qu’ils croient. »

 

Il donnait ensuite trois notes caractéristiques de cette consécration ascétique et monastique contemplative :

 

(a)        Un certain éloignement ou détachement des affaires « ordinaires » ou « séculières » de la vie du monde.

(b)        Une inquiétude au sujet de ce que renferment fondamentalement les propres croyances religieuses ou philosophiques.

(c)        Un souci particulier d’une transformation intérieure, une plus grande sensibilité de conscience à la recherche d’un au-delà du moi ordinaire empirique (la réalisation de Soi) et de l’observance morale et pieuse.

 

Et, il concluait en soulignant :

 

 

« L’importance d’une sérieuse communication, puis de la ‘communion’ entre les contemplatifs de traditions, disciplines et religions différentes ; cela peut contribuer beaucoup au développement de l’homme au point critique de son histoire. Nous sommes en grand danger de perdre l’héritage spirituel accumulé péniblement par des milliers de générations de saints et de contemplatifs. En ce monde moderne, la fonction propre du moine est de maintenir en vie l’expérience contemplative et de garder la voie ouverte pour que l’homme moderne, homme de la technique, recouvre l’intégrité du dépôt qui est en lui » (Bulletin du Secrétariat pour les non-chrétiens, mars 1969, n° 10).

 

 

Si l’on demandait une courte définition du but que Thomas Merton gardait en vue, on la trouverait dans la formule : « la pratique ininterrompue de la Présence de Dieu ». Au fait, il avait recherché à tâtons durant toute sa vie de moine l’accomplissement d’une vie contemplative qui dépasserait la simple observance d’une discipline monastique très stricte allant de pair avec une piété qui se contente de flotter à la surface des choses. Au fil des années, il se soucia de plus en plus du fait que les défenses d’autrefois contre les intrusions du « monde » cessaient d’être efficaces parce que les conditions qui leur permettaient de fonctionner dans les siècles passés n’étaient plus appliquées. La structure jusqu’ alors cohérente de la tradition chrétienne souffrait d’une désintégration inconcevable pour ceux qui avaient élaboré l’ancienne règle ; de tous côtés les digues s’érodaient et des brèches béantes apparaissaient en toutes directions. Il n’y avait pas là de quoi désespérer, toutefois, pour un homme comme Thomas Merton, des mots tels qu’ ‘optimisme’ et ‘pessimisme’ n’avaient pas de sens, mais c’était plutôt une occasion de mettre en question, franchement et sans peur, les postulats conventionnels et, plus encore, d’éprouver ses propres attitudes intellectuelles et morales au feu d’un inflexible examen de conscience. Par-dessus tout, c’était une occasion d’approfondir sa propre communion avec Dieu ou, en d’autres termes, de rendre réels ses propres états contemplatifs ; que déjà à l’époque l’Eglise et le monde fussent en crise n’était pas une excuse pour négliger ce travail intérieur qui, si seulement les gens le savaient, offre leur plus sûre espérance. Le fait qu’un moine est un ‘solitaire’ et ‘fuit’ la multitude ne pose pour lui aucun problème. L’amitié, et le rayonnement de l’amour spirituel, non seulement ne distrait pas de la contemplation de Dieu, mais fait partie intégrante de la vie contemplative telle qu’il la conçoit ; L’expression « vie contemplative » ne joue aucun rôle chez Thomas Merton.  Pour lui il s’agit simplement de la vie monastique, qui est une vie d’amour.

 

Longtemps avant de recevoir l’étonnant appel qui l’entraîna en Orient, il avait demandé à son Père Abbé l’autorisation de se retirer dans un ermitage pour s’adonner entièrement à une vie de prière et de méditation solitaires. Que cela devait incidemment restreindre ses activités d’écrivain d’articles, de livres ou de lettres privées était évident. Juste avant de se retirer dans son ermitage, il écrivit à un ami, qu’il abandonnait différents mouvements auxquels son nom était publiquement associé ; comme il le dit alors, nombre de ceux qui considéraient sa participation comme un grand atout seraient déçus et se méprendraient sans doute sur les raisons qui l’amenaient à se retirer ainsi dans la solitude, décision qui, selon eux, pourrait bien avoir un parfum de ‘quiétisme’, sinon d’égoïsme. Il était néanmoins convaincu que sa vocation exigeait de lui cette démarche et que, si elle suscitait l’incompréhension dans le mental de certains, c’était un fardeau incidentelle qu’il fallait accepter. Les choses demeurèrent en l’état jusqu’à ce que vînt l’ordre d’assister à une conférence intermonastique en Orient, cet Orient qui en était arrivé à prendre une telle signification pour Thomas Merton, mais qu’il n’espérait pas voir et dont il fût destiné à ne pas revenir.

 

 

L’homme reconnaissant sait que Dieu est bon, non par ou¨-dire, mais par expérience. Et c’est ce qui fait toute la différence.

Thoughts in Solitude, p.42

 

 

Derniers souvenirs de Thomas Merton en Inde

 

Le 12 décembre 1968, un quotidien de Thaïlande, The Bangkok Post, donnait un entrefilet sous ce titre lui-même en abrégé : « Un moine catholique meurt, R (oman) C(atholic) Monk dies », annonçant que le Père Thomas Merton avait été victime d’une crise cardiaque (mort qui fut interrogée  en son temps). Ce fait divers occupait quelques lignes en cinquième page. Il s’agissait d’un événement qui allait attirer l’attention du monde entier sur ce pays et ce qui s’y passait alors : la « Rencontre des moines d’Asie » organisée par l’A.I.M., l’Aide à l’Implantation Monastique. En étaient témoins les soixante-dix participants du congrès – moines, moniales, experts venus de vingt-deux nations d’Asie, d’Amérique et d’Europe -, ainsi que des journalistes et les techniciens des équipes de télévision de trois pays.

 

Thomas Merton – et cela n’était pas le cas de beaucoup d’autres – avait toujours manifesté beaucoup d’intérêt pour les activités de l’A.I.M. De tout côté on l’invitait. Le temps semblait être venu pour lui, après plus de vingt ans de solitude contemplative à l’abbaye de Gethsémani, d’abord au monastère comme il se doit normalement, puis dans un ermitage, de libérer son message non plus seulement en écrivant, mais en rencontrant ses contemporains – dont il vivait intensément, en clôture, tous les problèmes. Il envisageait se rendre en Asie et en Afrique, occasionnellement, toujours et uniquement pour des causes monastiques malgré que des nouveaux horizons s’ouvrirent pour lui. Il fut demandé de venir à Bangkok, et d’y parler du marxisme, aussitôt il perçut l’importance du sujet, et accepta avec enthousiasme.

 

Peu après son arrivée en Inde, le Père Merton, piloté par un ami, fut reçu en audience par le Dalaï Lama à sa résidence de Dharamsala, dans les collines du Pendjab. Au cours de cette rencontre, l’entretien porta principalement sur les implications les plus profondes d’une vocation monastique. Il se renouvela à deux reprises, d’après le propre désir du Dalai Lama. Peu après, le Père Louis Merton se transporta à Darjeeling dans l’intention de visiter le Sikkim, où il était déjà attendu à la suite d’une correspondance de la part d’un proche et ses amis. On espérait, en particulier, qu’il passerait quelque temps auprès de Sa Sainteté le Karmapa Lama à son centre nouvellement fondé à Rumtek ; mais des pluies torrentielles, suivies de glissements de terrain, qui détruisirent les ponts sur la rivière Tista, coupant les communications locales, l’empêchèrent d’atteindre cet objectif plus éloigné. Ce fut toutefois durant son séjour dans les collines du Bengale septentrional qu’il devait trouver ce qu’il avait longtemps imaginé, mais qu’il n’avait encore jamais vu en chair et en os – son idéal de contemplation incarné dans un homme, voilà ce que la Divine Providence offrit inopinément à Thomas Merton.

 

Dans sa lettre du 9 novembre 1968, Nouvelle Delhi, Inde, il écrivit à ses amis :

 

Cette lettre n’est pas une réponse à mon courrier parce que je n’ai pas reçu de courrier pendant ce voyage en Asie et je n’ai pas eu le temps d’écrire des lettres non plus. Comme vous le savez sans doute, j’ai reçu la permission de m’absenter de mon monastère pendant plusieurs mois et ceci surtout parce que j’ai été invité à assister à une réunion d’Abbés catholiques d’Asie à Bangkok et à y donner une conférence. Comme cela me donnait l’occasion d’être en Asie, j’ai reçu la permission d’allonger quelque peu mon voyage afin d’apprendre quelque chose sur la vie monastique en Asie, et notamment sur le Bouddhisme. Je visiterai aussi nos monastères cisterciens en Indonésie, à Hong Kong et au Japon, et j’y ferai quelques causeries. A part ça, ce voyage n’a pas pour but de faire des conférences mais de m’instruire et d’établir des contacts avec des personnages importants de la vie monastique bouddhiste. Je m’intéresse particulièrement au Bouddhisme tibétain et au Zen japonais (peut-être chinois). (Peut-être y-a-t-il encore quelques centre Ch’an (Zen) chinois à Taiwan). J’espère voir John Wu à Taiwan.

 

Je vous écris de la Nouvelle Delhi, capitale de l’Inde, ville impressionnante que j’aime beaucoup. Mon premier contact avec l’Inde a eu lieu à Calcutta qui, même si on y est préparé, cause toujours un choc. La pauvreté et la misère y sont écrasantes – et elles le sont plus dans l’Inde rurale. Certaines villes sont indescriptibles. Ce matin j’ai été déposer une petite pièce de monnaie dans les mains d’un mendiant et j’ai vu que c’était un lépreux dont les doigts avaient été mangés… C’est comme ça. Les gens dorment dans les rues – certains n’ont jamais eu de maison pour y habiter. Les gens meurent dans les rues. A Calcutta on sort par la porte principale de son hôtel dans la rue « chic » de la ville et on y trouve une vache endormie sur le trottoir. J’aime assez bien les vaches qui se promènent ça et là. Elles rendent la circulation asiatique plus intéressante.

 

Bangkok est l’endroit le plus terrible pour la circulation que j’aie jamais vu : pas de signaux lumineux, on appuie seulement sur l’accélérateur et on fait une course avec cinq cents autres voitures jusqu’au carrefour. La principale règle de la conduite en Asie semble être : ne pas se servir du frein, appuyer seulement sur le klaxon. C’est terriblement excitant. Notamment dans l’Himalaya où l’on prend les tournants à toute allure à des hauteurs et des vitesses vertigineuses et où l’on rencontre ces immenses bus, peints pour ressembler à des dragons, venant en sens inverse. D’habitude la route n’a de toute façon qu’une bande de circulation, mais on arrive toujours à s’arranger. Je suis toujours en vie.

 

Je ne peux pas gaspiller mon temps et mon papier en racontars. Le but principal de cette lettre est de vous parler de mes contacts avec le mysticisme tibétain et de ma rencontre avec le Dalai Lama dans son nouveau quartier général, sur les hauteurs d’une montagne à Dharamsala, dans l’Himalaya : il faut une nuit de train pour y arriver lorsqu’on vient de Delhi. (L’Himalaya est la plus belle chaîne de montagnes que je n’aie jamais vue. La lumière a quelque chose de particulier là-bas : un bleu et une clarté qu’on ne voit pas ailleurs.) J’ai passé huit jours à Dharamsala ; j’y ai fait une sorte de retraite, en lisant, méditant et rencontrant des maîtres tibétains. J’ai eu trois longs entretiens avec le Dalai Lama et j’ai également parlé avec beaucoup d’autres.

 

Le Dalai Lama est le chef religieux des Bouddhistes tibétains et aussi leur chef temporel en quelque sorte. Comme vous le s’avez, il a dû fuir le Tibet en 1959 lorsque les Communistes chinois ont pris possession de son pays. Il y a beaucoup de réfugiés tibétains qui vivent sous tente dans les montagnes et beaucoup aussi forment des colonies dans les plantations de thé. J’ai vu quelques communautés monastiques dans ces plantations. Le Dalai Lama est beaucoup aimé de ses fidèles, et ce sont les gens les plus pieux que j’aie jamais vus. Certains parmi eux semblent prier constamment, et je ne parle pas des moines, non, ce sont des laïcs. Quelques uns ont toujours un chapelet en main (et comptent les formules rituelles bouddhistes) et j’en ai vu certains avec des moulins à prières. En Occident on a l’habitude de rire des moulins à prières, mais ceux que j’ai vus s’en servir m’ont parus assez recueillis. Il était évident qu’ils priaient profondément et avec beaucoup de dévotion.

 

Le Dalai Lama a trente-quatre ans, c’est un homme vif et énergique. Il est simple et sympathique et parle avec une grande franchise et largeur d’esprit. Il n’est pas du tout ce que l’on pourrait attendre d’un émigré politique et ce qu’il m’a dit au sujet du communisme m’a semblé juste et objectif. Ses intérêts réels sont monastiques et mystiques. C’est un chef religieux et un érudit ; c’est aussi un homme qui a reçu une remarquable formation monastique, cela est évident. Nous avons parlé presque uniquement de la vie de méditation, du Samadhi (concentration) qui est la première étape de la discipline de la méditation, où l’on clarifie son esprit et où l’on se recueille systématiquement. Les Tibétains ont une connaissance très précise, subtile et scientifique de l’esprit et ils en font l’expérience par la méditation. Nous avons également parlé des hautes formes de prière, du mysticisme tibétain (dont la plus grande partie est ésotérique et strictement secrète), et notamment du mysticisme tibétain comparé au Zen. Dans les deux cas, le plus haut mysticisme est en quelque sorte assez « simple », mais toujours et partout le Dalai Lama insistait sur le fait qu’on ne peut atteindre à rien dans la vie spirituelle sans une fidélité totale, un effort contenu, une direction expérimentée, une discipline réelle, et la combinaison de la sagesse et de la méthode, ce que souligne le mysticisme tibétain. Il était très intéressé par notre vie monastique d’Occident et les questions qu’il m’a posées sur la vie cistercienne étaient intéressantes. Il voulait savoir si nos vœux constituaient une initiation à une tradition mystique et une expérience sous la direction d’un Maître qualifié, ou s’ils étaient simplement « équivalents à un serment » - une sorte d’accord qu’il faut observer. Lorsque j’ai expliqué les vœux, il voulait encore savoir à quel point les moines pouvaient arriver dans la vie mystique et s’il était possible d’avoir une vie mystique profonde dans nos monastères. J’ai dit que oui, c’est normalement pour cela que nos monastères existent, mais beaucoup de moines semblent s’intéresser à autre chose… Je voudrais bien remarquer toutefois que certains des moines qui vivent dans l’entourage du Dalai Lama se plaignent des mêmes choses que nos moines : manque de temps, trop de travail, impossibilité de consacrer assez de temps à la méditation, etc. Je suppose que le Dalai Lama ne dispose pas de beaucoup de temps, mais au cours des longs entretiens que nous avons eus sur la méditation, j’ai pu voir qu’il y a certainement réfléchi minutieusement et profondément et que c’est un homme qui a atteint un « haut degré de méditation ». J’ai aussi rencontré beaucoup d’autres Tibétains qui sont impressionnants en ce sens, y compris des Tibétains laïcs qui sont très avancés dans un type particulier de contemplation tibétaine qui ressemble au Zen et que l’on appelle Dzogtchen.

 

Ici j’ai été interrompu dans ma lettre, et je suis sorti pour rencontrer un Bouddhiste cambodgien qui dirige un petit monastère en Inde depuis des années. Il est de la tradition Theravada (du Sud ou Hinayana), différente de la tradition tibétaine. Ici aussi on insiste sur la discipline de l’esprit et sa connaissance approfondie. Mais les méthodes sont plus simples que les méthodes tibétaines et elles vont moins loin. Il m’a raconté que les meilleurs moines de la tradition Theravada sont ceux de Birmanie et de la Thaïlande. En fait j’ai vu un monastère à Bangkok et j’y ai rencontré un Bouddhiste anglais très intéressant qui a une bonne réputation d’érudition et de ferveur parmi les Thaïs. Il était sur le point de se retirer dans un des petits monastères érémitiques de méditation des jungles du nord de la Thaïlande où l’on trouve les meilleurs Maîtres. Ils sont pratiquement inconnus des Occidentaux.

 

Une des personnes les plus intéressantes que j’aie rencontrées est un jeune abbé tibétain qui après sa fuite du Tibet a étudié à Oxford et a ouvert un petit monastère en Écosse. Il semble qu’il ait du succès là-bas, et c’est un homme qui a du talent. Il a écrit un livre intitulé « Né au Tibet » qui traite des expériences de sa fuite. Je vous le recommande. (Il s’appelle Chogyam Trungpa Rimpoche)

 

J’ai aussi eu quelques contacts avec la tradition Sufi (musulmane) qui a pénétré en Inde dans la région de Delhi (qui était la capitale de l’empire Mogol et est encore assez musulmane). J’ai rencontré un expert du Sufisme qui m’a parlé des réunions où les Sufis de cette région se servent du chant pour amener la contemplation, mais je n’ai assisté à aucune de ces réunions. J’espère bien entendre quelques chants de ce genre à Urdu dans un restaurant local où l’on en exécute pendant les week-ends. A propos, la nourriture ici est sauvage. La plupart du temps j’essaie de m’en tenir à la nourriture chinoise plutôt qu’à la nourriture indienne, qui est (pour moi du moins) mortifère.

 

En résumé : je puis dire que jusqu’à présent mes contacts avec les moines d’Asie ont été précieux et très fructueux. En effet il semble que nous nous entendions très bien. J’ai été en contact avec des Bouddhistes la plupart du temps, et je trouve que les Tibétains surtout sont très vivants et généralement bien instruits aussi. Ce sont des gens merveilleux. De nombreux monastères, thaïs et tibétains, semblent avoir une vie similaire à celle de Cluny, par exemple, au moyen age : l’érudition et l’instruction y règnent ainsi que la liturgie et les rites. Mais ils sont aussi spécialistes en méditation et contemplation. C’est ce qui m’attire le plus.  C’est inestimable d’avoir un contact direct avec des gens qui ont réellement passé une grande partie de leur vie à travailler assidûment pour former leur esprit et se libérer des passions et des illusions. Je ne dis pas que ce sont tous des saints, mais ne sont certainement des hommes d’une qualité et d’une profondeur inhabituelles, des hommes zélés et étonnants. C’est un véritable plaisir de parler avec eux. Ainsi par exemple, l’autre jour, à la fin d’une réunion, un des lamas a composé pour moi un poème en tibétain, aussi lui ai-je composé un (en anglais) et nous nous sommes quittés sur cette note de courtoisie monastique traditionnelle en Asie. Il y a bien d’autres choses dont je pourrais parler : la richesse de l’art, la musique, etc. Mais ça deviendrait trop touffu.

 

J’espère que vous comprendrez pourquoi je ne puis répondre à mon courrier en ce moment. Je suis tout à fait pris par ces rencontres monastiques et par l’étude et la prière qu’elles exigent pour être fructueuses. J’espère que vous prierez pour moi et pour ceux que je vais rencontrer. Je suis sûr que Dieu bénira ces rencontres et j’espère qu’elles profiteront à tous. J’espère aussi pouvoir ramener dans mon monastère un peu de la sagesse asiatique avec laquelle j’ai la chance d’être en contact – mais c’est quelque chose de très difficile à exprimer par des mots.

 

Je vous souhaite à tous paix et joie dans le Seigneur et une foi plus grande : car dans mes contacts avec des nouveaux amis je trouve aussi la consolation dans ma propre foi au Christ et sa présence intérieure. J’espère et je crois qu’il peut être présent dans le cœur de chacun de nous.

 

Croyez à mes sentiments les meilleurs. Bien à vous dans le Seigneur Jésus et son Esprit.

 

Thomas MERTON

 

Dans les premières années 60, l’attention du Père Thomas Merton devint de plus en plus centrée sur les disciplines religieuses et philosophiques de l’Orient. Écrivant à un prêtre chinois en Californie, il lui dit ceci qui peut choquer quelqu’un qui serait affligé d’une mentalité étroite au point de croire qu’il n’a rien à recevoir de ces traditions.

 

Je ne sais si j’ai quelque chose à offrir à l’Asie, mais je sais fort bien que j’aie immensément à apprendre d’elle. Une des choses que j’aimerais partager avec les asiatiques, ce n’est pas seulement le Christ, mais l’Asie elle-même. Je suis convaincu qu’un christianisme plutôt superficiel, vêtu à l’européenne, ne suffit pas à l’Asie. Nous avons manqué de profondeur. Nous avons manqué de largeur de vue, celle qui nous aurait fait saisir toute la merveilleuse richesse, l’immense trésor des traditions données à la Chine, à l’Inde, au Japon, à la Corée, à la Birmanie, etc.…, comme une préparation naturelle à la venue du Christ.[2]

 

Le Père Thomas Merton, O.C.S.O.

 

 

L’étendue de l’intérêt que Thomas Merton portait à l’œcuménisme dans l’enceinte du christianisme, autant qu’en dehors vers les autres religions, ne peut être saisi dans toute son ampleur que dans le contexte de son énorme correspondance et des volumes de son Journal. Ce souci se manifeste également dans ses livres à l’horizon toujours plus vaste et plus varié. Un beau passage de son Journal publié dix ans plus tard dans ‘Réflexions d’un spectateur coupable’ révèle cet esprit interreligieux qui jaillissait en lui comme de source :

 

« Si j’unis en moi les pensées et la piété des chrétiens d’Orient et d’Occident, des Pères grecs et latins, des mystiques russes et espagnols, je prépare dans mon âme la réunion des chrétiens séparés. Ce cette unité secrète et muette peut finalement sortir une unité visible et manifeste de tous les frères divisés. Si nous voulons réunir ce qui est divisé, ce n’est pas en imposant l’une des parties divisées à l’autre ni en favorisant l’absorption de l’une par l’autre que nous réussirons : l’union que nous obtiendrions ne serait pas chrétienne, elle serait politique et condamnée à d’autres conflits. Nous devons englober en nous tous les mondes séparés et les transcender dans le Christ (p.26).

 

Après une journée passée à discuter avec les étudiants en journalisme de l’université de l’Indiana sur les problèmes de l’homme moderne, le Père Thomas Merton confiait à ses confrères combien cette expérience d’échange de vues avec des hommes venant d’Asie, d’Afrique et d’Europe lui avait ouvert de perspectives. Comme l’apôtre Paul dans le Nouveau Testament de la Bible, il était convaincu qu’il devait devenir « toutes choses pour tout homme », qu’il devait demeurer cet « homme universel », en ce sens qu’il fallait partager de quelque façon le sort même de l’hindou, du juif, du bouddhiste et du musulman. Il se sentait, toutefois, particulièrement attiré par le soufisme et parlait souvent à la communauté monastique de la poésie et de la mystique soufies ; dans ses dernières années cependant il concentra toute son attention sur le bouddhisme zen. « Si j’arrive à comprendre un peu la manière dont un musulman considère Dieu, l’unité de Dieu, ma propre estime du dogme chrétien de l’unité de Dieu s’en trouvera grandie », disait-il à ses frères.

 

D’après les notes qu’il avait préparées pour une assemblée interreligieuse tenue à Calcutta, à la mi-novembre 1968, à peine trois semaines avant sa mort, il écrivit :

 

 

« Je m’adresse à vous comme moine occidental soucieux avant tout de sa propre vocation et de sa consécration monastiques. J’ai quitté mon monastère pour venir jusqu’ici non pas en chercheur ou en professeur, ni même comme écrivain (ce que je suis d’ailleurs). Je viens comme pèlerin, désireux non seulement de m’informer, de rassembler des données sur d’autres traditions que les mienne, mais aussi de boire à d’anciennes sources de vision et d’expérience monastiques. Je ne cherche pas seulement à apprendre, mais à devenir moi-même un moine meilleur et plus éclairé (qualitativement).[3]

 

 

Finalement pour conclure cette biographie du Père Thomas Merton, ayons un moment de silence et de réflexion, unissant mental et cœur sur les ailes de la foi et douce dévotion, l’homélie de la messe pour le Père Louis (Thomas Merton), par Dom Flavian Burns, Abbé de Gethsémani.

 

Mes chers Pères et Frères,

 

La semaine passée nous avons enterré un de nos vieux Frères, Frère Leo, homme sérieux qui a vécu une longue vie de silence pour le Seigneur. Aujourd’hui nous célébrons cette Messe pour un autre frère qui est retourné au Seigneur, notre Père Louis.

 

C’était un jeune Frère, même un très jeune Frère, un Frère qui aurait pu vivre cent ans sans devenir vieux.

 

Sa vie était loin d’être une vie de silence, malgré son caractère d’ermite, étant donné qu’il était, grâce à la Providence de Dieu, un habile ministre de la Parole. Le monde le connaissait par ses livres, nous le connaissions par sa parole. Peu d’hommes, s’il en fût, le connaissaient dans sa prière secrète.

 

Pourtant il avait une prière secrète et c’est ce qui donnait une vie intérieure à tout ce qu’il disait et écrivait. Son secret était, dans une grande mesure, un secret pour lui-même, mais il lisait avec adresse le secret des âmes qui cherchaient son aide. C’est pour cela que bien que nous riions de lui, et avec lui, comme nous l’aurions fait avec un jeune Frère, nous le respections cependant comme le Père spirituel de nos âmes.

 

Ceux parmi nous qui avaient le privilège et le plaisir de s’entretenir avec le Père Louis en termes intimes, et de soumettre leur vie intérieure à sa direction, savent qu’ils avaient en lui le meilleur des pères spirituels.

 

Il était, alors, à la fois un frère et un père, et pour ceux qui le voulaient, il était un ami fidèle. Pour moi, personnellement, il était un des hommes les plus serviables et aimables que je n’ai jamais eu le plaisir de rencontrer. Je lui dois plus que ce que mes mots peuvent exprimer. Sa mort est une grande perte.

 

Cependant, nous savons que ce n’est pas une perte complète. Il a marqué profondément cette communauté, et cette marque demeurera en nous durant les années à venir, car il l’a plantée dans le cœurs d’une génération, et si Dieu le veut, elle restera plantée pour les générations à venir.

 

Chacun d’entre vous, j’en suis sûr, lirait son message de façon quelque peu différente et c’est, évidemment, la façon qu’il voudrait. Mais le message reste fondamentalement le même pour tous.

 

Nous ne sommes des hommes de Dieu que dans la mesure où nous le découvrions dans notre propre vérité. Le silence, la solitude, et l’isolement sont des moyens pour y arriver et rien de plus. Le but de tous est la pureté de la foi et l’amour, et ce qui nous fait aller de l’avant, c’est notre espérance.

 

Le Père Louis a entrepris ce voyage en Asie dans l’esprit de cette même recherche de Dieu. Les lettres qu’il m’a adressées d’Asie étaient pleines d’optimisme et d’espoir de progresser dans cette recherche.

 

La possibilité de la mort n’était pas absente de son esprit. Nous en avons parlé avant qu’il parte – d’abord en plaisantant et puis sérieusement. Il était prêt à la mort. Il trouvait même qu’il serait bien dans un certain sens de mourir là-bas parmi ces moines asiatiques qui symbolisaient pour lui l’ancien et éternel désir de l’homme des choses profondes de Dieu.

 

C’est pourquoi, bien que son corps soit mort loin de nous, en esprit il n’est pas mort loin de nous. Sa mort peut être pénible pour nous, mais elle est une joie pour lui, car elle est enfin l’accomplissement de la recherche de Dieu et de l’espérance en Dieu qu’était sienne.

 

Puisse Dieu le récompenser de tout ce qu’il a fait pour cette communauté, et puisse la recherche de Dieu, et l’espérance en Dieu qu’était la sienne, rester en nous, que nous aussi puissions un jour partager avec lui la joie de leur accomplissement, dans le Royaume de Notre Père.

 

Nous le demandons parle Christ Notre Seigneur et par l’intercession de sa Sainte Mère. Amen.

(Fin du sermon)

 

Il semble que Thomas Merton lui-même ait plaisanté sur sa mort jusqu’au matin même du jour où elle devait se produire. Mais Dieu n’avertit pas. Il vient comme un voleur d’après les paroles de l’Évangile, et Il reprend ce qui Lui appartient. Tout à Bangkok, fut nettement marqué par la main de Dieu, que ce départ fait certainement partie d’un dessein de salut dont la suite nous échappe encore, mais pas tout à fait. Au moment de terminer cette biographie, une réunion interreligieuse organisée par le Pape Jean-Paul II s’annonce à Assisse (Italie), le jeudi 24 janvier 2002, pour une journée de prières entre représentants de toutes les religions du monde, le deuxième rassemblement de ce genre au pays de saint François d’Assise.

 

Ainsi, fut-il, en quelque sorte une victime choisie, offerte pour obtenir une bénédiction dont nous savons qu’elle n’a pas manqué, car jusqu’à la fin du congrès et aujourd’hui encore, on ne cesse de sentir que le Père Thomas Merton est présent grâce à ses actions désintéressées. Il a disparut, mais pour toujours il reste.

 

Une des personnes qui, à Bangkok, l’ont approché le plus, Sœur M.B. Saïd écrivait : « J’ai été frappée par ses yeux d’enfant pur. » Et selon ces mots d’un poète, « Je voyais dans ses yeux, parmi les fleurs de ce printemps, se lever la vocation de la mort comme un lys solennel ». Continuons sur le mode lyrique :

 

L’heure, son Heure, était là. Notre nouvel ami, il est mort. Celui que nous avons connu à la onzième heure, il est mort. Il était venu pour mourir parmi nous. Dieu l’a voulu. On ne discute pas avec Dieu. Mais non, ô toi de peu de foi ! Il n’est pas mort du tout ! Notre ami dort. Il vit, il rit, il sourit comme il le faisait parmi nous. Il est heureux, divinement heureux. Soyons heureux avec lui ! Béni sois-tu, Seigneur, trois fois béni ! Thomas Merton vit.

 

Ouvrages littéraires de Thomas Merton :

 

Aux Éditions Casterman :

 

Les temps des fêtes (Seasons of Celebration).

La révolution noire (The black Revolution).

 

Aux Éditions du Seuil :

Le nouvel homme (The new Man).

Vie et Sainteté (Life and Holiness).

Nouvelles semences de contemplation (New Seeds of Contemplation).

Nul n’est une île (No man is an island).

La vie silencieuse (The silent life).

La nuit privée d’étoiles (The seven storey Mountain), publié par les Éditions Albin Michel a été réédité par Les Éditions du Seuil dans la collection de poche « Livre de Vie ».

 

Aux Éditions Albin Michel :

 

Direction spirituelle et Méditation (Spiritual Direction and Meditation).

Journal d’un laïc (The secular Journal)

La montée vers la lumière (The ascent to Truth).

La nuit privée d’étoiles (The seven storey Mountain).

La paix monastique (Monastic peace).

Questions disputées (Disputed questions).

La sagesse du désert (The Wisdom of the desert).

Semences de destruction (Seeds of Destruction).

Le signe de Jonas (The Sign of Jonas).

Réflexions d’un spectateur coupable (Conjectures of a guilty Bystander).



[1] Cet article a paru en anglais sous le titre Ecumenical Monk (pp.209-220), dans Thomas Merton, Monk. A Monastic Tribute. Edited by Brother Patrick Hart. Image Book, Doubleday, New York, 1976, 223 p.

 

[2] Semences de destruction, op.cit., pp. 136-37.

[3] The Asian Journal of Thomas Merton, New York, New Directions Books, pp. 312-13 (Appendix VII)