Chapitre 2

 

LA CONNAISSANCE TRANSCENDANTALE

 

Samjaya dit : Le Seigneur Kŗşna prononça ces paroles à Arjuna ayant les yeux affligés et pleins de larmes, envahit de compassion et de désespoir.[1] (2.01)

Le Suprême Seigneur dit : Comment un tel découragement a-t-il pu s’emparer de toi en ce moment ? Ce n’est pas convenable pour un Aryen[2] (ou une personne dont le mental et les actions sont nobles). C’est déshonorant, et ne conduit pas une personne au ciel, O Arjuna. (2.02)

Ne te laisse pas aller à la couardise, O Arjuna, car cela ne te convient pas. Chasse cette faiblesse insignifiante de ton cœur et lèves-toi pour le combat, O Arjuna.[3] (2.03)

 

ARJUNA CONTINUE SON RAISONNEMENT CONTRE LA GUERRE

 

Arjuna dit : Comment pourrais-je dans le combat lancer des flèches à Bhīşma et Drona, qui sont dignes de ma vénération, O Kŗşna ? (2.04)

Vraiment, mieux voudrait vivre dans ce monde d’aumône plutôt que d’abattre ces nobles gourous[4], car en les tuant je ferais que profiter des richesses et plaisirs souillées de sang. (2.05)

Nous ne connaissons pas quel alternatif soit mieux pour nous, combattre ou quitter. D’ailleurs, nous ne savons pas si nous allons conquérir ou qu’ils nous conquérront. Nous ne devrions pas, ne fus que souhaiter, de vivre après avoir tué les fils de Dhrtarâstra qui sont dressés devant nous. (2.06)

Mes sens sont envahis par la faiblesse de la pitié, et mon mental est confus quant au devoir (Dharma). Je Te demande de me dire en toute certitude qu’elle est la meilleure. Je suis Ton disciple. Instruis-moi, qui aie trouvé refuge en toi.[5] (2.07)

Je ne vois pas qu’acquérir un royaume sans rival et prospère sur cette terre, ou même la seigneurie sur les régnants célestes (Devas) dissiperaient la douleur qui dessèche mes sens.  (2.08)

Samjaya dit : O Roi, après avoir parlé ainsi au Seigneur Kŗşna, le puissant Arjuna dit à Kŗşna : je ne combattrai pas, et il resta silencieux. (2.09)

O Roi, le Seigneur Kŗşna, esquissant un sourire, dit ces paroles à Arjuna découragé au milieu des deux armées.[6] (2.10)

 

LES ENSEIGNEMENTS DE LA GÎTÂ DÉBUTE PAR LA VRAIE CONNAISSANCE DU SOI ET DU CORPS PHYSIQUE

 

Le Seigneur Suprême dit : Tu pleures pour ceux qui ne sont pas dignes d’être lamentés, et pourtant tu prononces des paroles de sagesse. Le sage ne se lamente ni pour les vivants ni pour les morts.[7] (2.11)

Il n’y eut jamais un temps que ces monarques, toi, ou moi cessèrent d’exister, et nous ne pourrons jamais cesser d’exister dans l’avenir. (2.12)

Tout comme l’entité vivante (Atmâ, Jîva, Jîvâtma) acquiert l’enfance, un corps jeune, et un corps de vieillesse durant cette vie ; de même elle acquiert un autre corps après la mort. Le sage n’en est pas troublé.[8] (Voir aussi 5.08) (2.13)

Les contacts des sens vers les objets appropriés engendrent la chaleur et le froid, la douleur et le plaisir. Ils sont transitoires et impermanents. Ainsi, apprends à les endurer, O Arjuna. (2.14)

Car une personne calme – qui n’est pas affectée par ces sensations, et est ferme dans la douleur et le plaisir, se rend digne de l’immortalité, O Arjuna.[9] (2.15)

 

LE SOI EST ETERNEL, LE CORPS EST TRANSITOIRE

 

L’Esprit invisible (Sat, Atmâ) est éternel, et le monde visible (y compris le corps physique) est transitoire. La réalité de ces deux est vraiment perçue par les voyants de la vérité. (2.16)

L’Esprit (Atmâ) par qui tout cet univers est pénétré, est indestructible. Personne ne sait détruire l’impérissable Esprit. (2.17)

Les corps de l’éternel, immuable, et incompréhensible Esprit sont périssables. Par conséquent, livre bataille, O Arjuna. (2.18)

Celui qui pense qu’Atmâ (Esprit) peut tuer, et celui qui pense qu’Atmâ est tué, les deux sont ignorants. Parce qu’Atmâ ne tue ou est tué. (Un verset parallèle se trouve dans KaU 2.19) (2.19)

L’Esprit (Atmâ) ne naît jamais et ne meurt jamais en aucun temps. Il ne commence pas d'être, ou ne cesse pas d’exister. Il est ingénéré, éternel, permanent, et ancien. L’Esprit n’est pas détruit lorsque le corps est détruit. (Voir aussi KaU 2.18) (2.20)

O Arjuna, comment une personne qui sait que l’Esprit (Atmâ) est indestructible, éternel, ingénéré, et immuable, tue quelqu’un ou provoque quelqu’un d’être tué ? (2.21)

 

LA MORT ET LA TRANSMIGRATION DE L’ÂME

 

Tout comme un homme revêt des vêtements neufs après avoir laissé les anciens ; de même, l’entité vivante (Atmâ, Jîva, Jîvâtma) acquiert de nouveaux corps après avoir rejeté les vieux corps.[10]  (2.22)

Les armes ne peuvent pourfendre cet Esprit (Atmâ), le feu ne le brûle pas, l’eau ne le mouille pas, et le vent ne le dessèche. L’Atmâ ne peut être coupé, brûlé, mouillé, ni asséché.  Il est éternel, omniprésent, inchangé, immuable, et ancien. (2.23-24)

L’esprit (Atmâ, le Soi) est dit être inexplicable, incompréhensible, et immuable. Connaissant cet Esprit comme tel, tu ne devrais pas t’affliger. (2.25)

Bien que tu penses que cette entité vivante ou corps prend naissance et meurt perpétuellement, même alors, O Arjuna, tu ne devrais pas t’affliger ainsi. Car la mort est certaine pour ce qui est né, et la naissance est certaine pour ce qui meurt. Par conséquent, tu ne devrais pas te lamenter sur l’inévitable.[11] (2.26-27)

Tous les êtres, O Arjuna, sont non manifestés – invisibles aux yeux physiques – avant la naissance et après la mort. Ils se manifestent seulement entre la naissance et la mort. Y a-t-il là de quoi s’affliger ?[12] (2.28)

 

L’ESPRIT INDESTRUCTIBLE TRANSCENDE LE MENTAL ET LA PAROLE

 

Certains voient l’Esprit[13] comme une merveille, d’autres le décrivent comme merveilleux, d’autres entendent parler de lui comme d’une merveille. Même après avoir entendu le concernant, peu de gens le connaît.  (Voir aussi KaU 2.07) (2.29)

O Arjuna, l’Esprit qui demeure dans le corps de tous les êtres est éternellement indestructible. Par conséquent, tu ne devrais pas pleurer pour personne. (2.30)

 

LE SEIGNEUR KŖŞNA RAPPELLE ARJUNA DE SON DEVOIR COMME GUERRIER

 

Ayant égard à ton propre devoir en tant que guerrier, tu ne devrais pas être indécis. Car, il n’y a rien de plus heureux pour un guerrier qu’une guerre juste. (2.31)

Seulement les guerriers favorisés, O Arjuna, reçoivent l’opportunité d’une telle guerre non préméditée, qui est comme une porte ouverte vers le ciel. (2.32)

Si tu ne veux pas combattre cette guerre juste, alors tu manqueras à ton devoir, tu perdras ta réputation, et tu t’affligeras le péché. (2.33)

Les hommes raconteront perpétuellement ta disgrâce. Pour les honorables, le déshonneur est pire que la mort. (2.34)

Les grands guerriers penseront que tu t’es retiré de la bataille par crainte. Ceux qui t’on hautement estimés, perdront leur respect pour toi. (2.35)

Tes ennemis prononceront beaucoup de paroles injurieuses et mépriseront ta capacité. Que peut-il y avoir de plus douloureux ?  (2.36)

Tu iras au ciel si tué au combat (répondant au devoir), ou victorieux tu jouiras du royaume terrestre. Par conséquent, debout donc, décidé à combattre, O Arjuna. (2.37)

Considérant le plaisir et la souffrance, le gain et la perte, la victoire et la défaite de la même façon, engage-toi dans ton devoir. En accomplissant ton devoir, tu ne commettras pas de péché.[14] (2.38)

 

LE SCIENCE DE KARMA-YOGA, L’ACTION D’DÉSINTÉRESSÉE

 

La sagesse de la connaissance transcendantale t’a été transmise, O Arjuna. Maintenant écoute la sagesse de Karma-yoga, le service désintéressé (Sevā), car en y étant pénétré tu seras libéré des chaînes de l’action (Karma). (2.39)

Dans le Karma-yoga aucun effort n’est jamais perdu et il n’y a pas d’effet adverse. Même la moindre pratique de cette discipline protège l’homme de la grande peur de la naissance et de la mort. (2.40)

Un Karma-yogi tient une détermination résolue vers la réalisation de Dieu, O Arjuna, mais les désires sont innombrables et diverses de l’homme qui travaille pour jouir des fruits de son activité. (2.41)

 

LES VEDAS TRAITENT L’ASPECT MATÉRIEL ET SPIRITUEL DE LA VIE

 

Les mal guidé prend plaisir dans le chant mélodieux de la Véda – sans comprendre le vrai objectif des Védas – réfléchit, O Arjuna, comme si il n’y a rien d’autre dans les Védas que des rituelles avec la seule raison d’obtenir les jouissances célestes.  (2.42)

Ils sont dominés par les désirs matériels, et considèrent l’acquisition céleste comme étant le but le plus élevé de la vie. Ils s’engagent dans des rites spécifiques pour cause de prospérité et de jouissance. La renaissance est le résultat de leurs actions.[15] (Voir aussi KaU 2.05, IsU 09) (2.43)

La détermination résolue de la réalisation du Soi n’est pas formée dans le mental de ceux qui sont attachés aux plaisirs et au pouvoir, dont le jugement est obscurci par ces activités ritualistes.  (2.44)

Une partie des Vedas traite les trois modes ou états (Gunas) de la Nature matérielle. Libère-toi des paires d’opposés, restes toujours équilibré et indifférent à toutes pensées d’acquisition et de préservation. Lève-toi au-dessus des trois états, en pleine conscience, O Arjuna. (2.45)

Pour la personne dont le Soi est réalisé les Védas sont aussi utiles qu’un petit réservoir d’eau lorsque l’eau d’un énorme lac devient disponible. (2.46)

 

THÉORIE ET PRATIQUE DU KARMA-YOGA

 

Tu as Adhikāra (droit, privilège) simplement sur tes devoirs respectifs, mais pas de contrôle ou de revendication sur les résultats. Les fruits du travail ne peuvent pas être ton motif. Tu ne devrais jamais être inactif.[16] (2.47)

Accomplis ton devoir le mieux possible, O Arjuna, par ton mental attaché au Seigneur, abandonnant le souci et l’attachement intéressé aux résultats, et reste calme dans le succès et l’échec. L’équanimité du mental est appelée Karma-yoga.[17] (2.48)

Le travail accompli avec des motifs égoïstes est très inférieur au service désintéressé ou le Karma-yoga. C’est pourquoi sois un Karma-yogi, O Arjuna. Ceux qui travaillent pour jouir des fruits de leur labeur sont vraiment malheureux. (Car l’homme n’a pas de contrôle sur les résultats). (2.49)

Un Karma-yogi devient dans cette vie même libéré du vice autant que de la vertu. S’efforcer de travailler le mieux possible sans être attaché aux fruits du travail est appelé Karma-yoga.[18] (2.50)

Les Sages Karma-yogis sont libérés des chaînes de la renaissance en renonçant à l’attachement intéressé aux fruits de tout travail, pour atteindre ainsi l’état de béatitude divine. (2.51)

Lorsque ton intellect aura complètement franchi le voile de confusion, alors tu deviendras indifférent aux Écritures que tu connais et à celles qu’il te reste à connaître. (2.52)

Lorsque ton intellect, rendu confus par les opinions contradictoires et la doctrine ritualiste des Védas, restera ferme et inébranlable dans la concentration sur le Suprême Être, ainsi tu atteindras l’union avec le Suprême Être en état d’extase (Samādhi). (2.53)

Arjuna dit : O Kŗşna, quelles sont les marques d’une personne illuminée (Sthita-prajna[19]) dont l’intellect est ferme ? Quelle est la façon de parler d’une personne dotée d’un intellect stable ? Comment une telle personne s’assied et marche ? (2.54)

 

LES MARQUES D’UNE PERSONNE QUI S’EST RÉALISÉE

 

Le Seigneur Suprême dit : Lorsqu’un être est complètement libre de tous désirs du mental et est satisfait avec l’Éternel Être (Brahma) par la joie de l’Éternel Être, ainsi cet homme est appelé un illuminé (Sthita-prajna), O Arjuna.[20] (2.55)

Une personne dont le mental est impassible au chagrin, qui ne sollicite pas les plaisirs, et qui est complètement libérée de l’attachement, de la peur, et de la colère, est appelée Sthita-prajna – un sage d’un intellect ferme. (2.56)

Ceux qui n’ont aucun attachement ; qui ne sont pas transportés dans l’obtention des résultats désirés, ni troublés par des résultats inopportuns ; leur intellect est considéré comme fermement établi. (2.57)

Lorsque quelqu’un retire complètement ses sens des objets de perception comme une tortue retire ses membres dans sa carapace pour se protéger, alors l’intellect d’une personne est considéré comme fermement établi. (2.58)

Le désir pour les plaisirs sensuels s’évade lorsque l’homme s’abstient de jouissance sensuelle, bien que le goût envers la jouissance sensuelle subsiste. Cette envie disparaît aussi chez la personne qui a connu le Suprême Être. (2.59)

 

LE DANGER DES SENS NON RESTREINTS

 

Les sens sans repos, O Arjuna, emportent fortement le mental, même d’une personne sage s’efforçant vers la perfection. (2.60)

L’homme devrait fixer son mental sur Moi dans une douce contemplation, après avoir mis les sens sous contrôle. Son intellect devient fermement établi, lorsque ses sens se trouvent complètement maîtrisés. (2.61)

L’homme développe l’attachement aux objets des sens, en pensant à ces objets de sens. Le désir envers les objets de sens vient de l’attachement aux objets de sens, et la colère vient des désirs inaccomplis. (2.62)

L’illusion ou les idées sauvages parviennent de la colère. Le mental est désorienté par l’illusion. Le raisonnement est détruit lorsque le mental est désorienté. L’homme s’égare du droit chemin lorsque le raisonnement est détruit.[21] (2.63)

 

L’OBTENTION DE LA PAIX ET DU BONHEUR PAR LE CONTRÔLE DES SENS ET DE LA CONNAISSANCE

 

Une personne disciplinée, se mouvant parmi les objets des sens sous contrôle et libérée de tout attachement et de toute aversion, atteint la tranquillité. (2.64)

Toutes les souffrances sont détruites en atteignant la tranquillité. L’intellect d’une telle personne tranquille devient vite complètement ferme et unie à l’Éternel Être (Brahma). (2.65)

Il n’y a pas de connaissance du Soi, ni de perception du Soi chez ceux qui ne sont pas unis à l’Éternel Être (Brahma). Sans la perception du Soi il n’y pas de paix, et sans paix il n’y a pas de bonheur. (2.66)

Le mental, lorsque contrôlé par les sens vagabonds, emporte l’intellect comme la tempête qui dérive un vaisseau en mer de sa destination – le rivage spirituel. (2.67)

Par conséquent, O Arjuna, l’intellect d’une personne devient ferme lorsque les sens sont complètement retirés des objets des sens. (2.68)

Le yogi, la personne modérée, se tient éveillé lorsqu’il fait nuit pour les autres. Il fait nuit pour le yogi lorsqu’il voit tous les autres éveillés.[22] (2.69)

L’homme atteint la paix intérieure don le mental a dissipé tous les désirs sans créer moindre perturbation mental, comme l’eau d’une rivière qui se déverse en plein océan sans le perturbé. Celui qui désire les objets matériels ne trouve jamais la paix. (2.70)

Celui qui abandonne tous désirs, et devient libéré de tout aspiration et d’émotion quant au « je » et « moi », atteint la paix. (2.71)

O Arjuna, ceci est l’état superconscient (Brāhmā).  Atteignant cet état, l’homme n’est plus abusé. Une fois parvenu dans cet état, même à la fin de la vie, la personne atteint Brahma-nirvāna[23] (ou, devient un avec l’absolu). (2.72)

 

Ainsi prend fin le deuxième chapitre intitulé «La Connaissance Transcendantale » dans les Upanişad de la Bhagavadgītā, l’écriture de yoga, touchant la science de l’Absolu dans la forme du dialogue entre Srīkŗşna et Arjuna.

 



[1] La pitié d’Arjuna n’a rien de commun avec la compassion du Suprême Absolu. C’est une forme de bienveillance de soi, le recul de ses nerfs devant un acte qui lui commande de faire du mal à ses proches. Arjuna se détourne ainsi de son devoir, mais le Seigneur Kŗşna le désapprouve.

[2] Les Aryens, d’après quelques uns, sont ceux qui acceptent un type particulier de culture intérieure et de pratique sociale, qui insistent sur le courage, la courtoisie, la noblesse et la justice.

[3] Kŗşna essaie de libérer Arjuna de ses doutes, et rappelle aussi la doctrine de l’indestructibilité du soi, en appelle à son sentiment de l’honneur et à ses traditions comme guerrier, lui révélant ainsi le dessein du  Suprême Absolu, tout en indiquant comment l’action doit être entreprise dans ce monde. Voilà pourquoi il y a des âmes qui sont toujours écrasées, même par des riens (et surtout par des riens) parce que ces riens sont au-dessus de leurs forces ; et il y en a d’autres qui sont toujours debout et vaillantes, parce que leurs forces spirituelles sont à la hauteur de toute épreuve.

[4] Si nous nous représentons les victimes de toutes les pages sanglantes de l’histoire, si nous entendons les cris d’hommes, femmes et enfants jusqu’à nos jours, voyons ces mille formes de destruction, d’oppression et d’injustice. Nul cœur animé de charité humaine ne peut goûter la joie dans ces conquêtes souillées de sang.

[5] Il est nécessaire que le monde nous laisse au cœur un grand vide. Ce vide c’est la place du Suprême Absolu. Arjuna n’est pas poussé seulement par le désespoir, l’anxiété et le doute, mais aussi par l’ardent désir de certitude. Reposez-vous dans le bien du Suprême Absolu. Il y a en effet un sommeil qui ne repose pas ; et il y a un autre sommeil qui opère la détente de l’être. Le sommeil dans le Suprême Absolu, le sommeil de l’âme qui s’en remet pleinement à Lui de tous ses soucis et de toutes ses peines, voilà le sommeil qui est repos. Comme Arjuna, le yogi ou dévot doit comprendre sa misère et son ignorance, et en même temps être anxieux de faire la volonté du Suprême Absolu, et de découvrir ce qu’elle est.

[6] Le sourire de Kŗşna indique qu’il perce à jour l’effort de rationalisation d’Arjuna, ce qu’on appelle aujourd’hui pensée-désir. Mais je ne suis pas abattu parce que je suis imparfait… et je ne veux pas que tu sois découragée parce que la perfection, cet oiseau rare, cet oiseau du Suprême Être, s’est encore dérobée à tes poursuites. Non, pas de découragement, précisément pour continuer ta poursuite. La perfection de la terre c’est cette poursuite et c’est le courage de la continuer jusqu’au bout et malgré tout. Je te conseille de sourire à tes défauts, quand tu les regardes. Je te conseille de sourire à tes qualités, à tes efforts, à tout ce qu’il y a de bon en toi, et à en remercier le Seigneur Kŗşna qui t’a tout donné, Dieu Lui-même.

[7] On explique brièvement dans le verset 2.38, la sagesse de la philosophie du Sānkhya. « Considérant le plaisir et la souffrance, le gain et la perte, la victoire et la défaite de la même façon, engages-toi dans ton devoir. En accomplissant ton devoir, tu ne commettras pas de péché. » (2.38) Le Sānkhya est un système enseigné par l’avatāra Kapila, qui procède par l’étude analytique de l’âme spirituelle conçue comme distincte des vingt-quatre éléments de la nature matérielle. Aussi, système d’analyse purement matériel du monde phénoménal dans ses diverses manifestations, mis en forme par Kapila. Sānkhya-yoga est la voie de l’approfondissement du moi spirituel comme distinct du corps matériel. Il a pour effet d’amener l’être au bhakti yoga (l’amour pour le Suprême Absolu par le service de dévotion), où il peut alors s’engager dans les activités spirituelles qui lui sont propres. Le Bhakti yogi applique l’amour et la dévotion pour le Seigneur, que caractérise l’engagement une fois purifié, des sens de l’être distinct au service des Sens du Seigneur.  Le silence mystique, il y en a trois. Le premier est celui des paroles ; le second, celui des désirs ; le troisième, celui des pensées. Le premier est parfait, le second est plus que parfait encore, le troisième l’est davantage. Le silence des paroles sert à acquérir la vertu ; celui des désirs à trouver le repos ; celui des pensées, à parvenir au recueillement intérieur. C’est au silence, à l’absence de désirs et de pensées qu’on reconnaît le véritable silence mystique pendant lequel le Suprême Absolu parle à l’âme, se communique à elle, et lui enseigne la plus sublime, la plus parfaite des sciences. Voilà, ce que enseigne la Bhagavad Gîtâ, la pratique par l’abandon de soi au Seigneur Suprême, le Seigneur Kŗşna, à travers les activités dévotionnelles que le livre enseigne. Pour finir, Sānkhya ne se rapporte pas au système de Kapila mais à l’enseignement des Upanishads.

[8] L’être humain se rend capable de l’immortalité en passant par une série de naissances et de morts. Les changements quant au corps ne signifient pas des changements de l’âme. Aucune de ces incarnations n’est permanente. La renaissance est une loi de la nature. Les incarnations semblent essentielles à l’évolution de l’âme.

[9] La vie éternelle est différente de la survie après la mort, la réincarnation qui est accordée à tout être incarné. Être sujet au chagrin et à la douleur, être troublé par les événements matériels, être détourné par eux du sentier du devoir qu’il faut suivre, indique que nous sommes encore victimes de l’ignorance.

[10] L’être psychique est le vijnāna qui sert de base à la triple manifestation en corps (anna), en vie (prāna), en en mental (manas). Quand le corps physique disparaît, les gaines vitale et mentale subsistent et sont le véhicule de l’âme.

[11] Notre existence est brève et la mort est certaine. L’inévitabilité de la mort ne sait pas justifier le meurtre, le suicide ou la guerre. Nous ne pouvons pas délibérément désirer la mort des autres sous le prétexte que tous les hommes doivent mourir.  La loi des renaissances n’encourage pas les meurtres, les massacres et les guerres inutiles, même si en certaines circonstances afin de préserver la paix et l’ordre dans la société, l’homme doit faire usage de l’armement militaire.

[12] L’existence du Soi plus subtil que le corps, les émotions et l’intellect, est une idée difficile à concevoir pour le « Je suis » (l’ego). L’individu peut, cependant, atteindre la perfection spirituelle grâce à la pratique de certaines disciplines et techniques. Une citerne, si profonde soit-elle, se remplit toujours lorsque le ciel y déverse la pluie, donc qu’il se confie au Suprême Absolu, en se conformant à ses devoirs dans le détachement, qui se trouve à la base même de la perfection. Il expérimentera ainsi une merveilleuse extase au-delà de toutes sensations.

[13] L’Esprit, est ce lieu de repos, le royaume de toutes perfections et de toutes les beautés spirituelles. Là, une lumière divine éclaire les mystères de la foi ; là se trouvent l’humanité profonde, la résignation entière, la pureté, la simplicité, l’innocence de la colombe, la modestie extérieure, la liberté dans le Seigneur Kŗşna et la pureté du cœur qui s’en suit. Bien que la vérité du Soi soit libre d’accès pour l’humanité toute entière, seules les rares âmes y parviennent, qui consentent à en payer le prix en discipline de soi, persévérance et renoncement. La vérité est ouverte à tous, mais beaucoup ne ressentent aucune inclination à la chercher ; et, parmi ceux qui ont l’inclination il y a le doute et l’hésitation ou qui rebutent à cause des difficultés. Seules les rares âmes réussissent à braver les obstacles pour parvenir au but.

[14] La lutte doit être entreprise dans un esprit de sérénité, sans céder au bruyant désir de changement, d’être à la merci des variations affectives, mais en accomplissant l’œuvre qui nous est assignée dans la situation où nous sommes appelés.

[15] Le Seigneur Kŗşna distingue le vrai karma de la piété ritualiste. Les sacrifices du Veda sont destinés comme récompenses matérielles. La Bhagavad Gîtâ nous propose de renoncer à tout désir et à tout effort égoïste, et de faire de la vie entière un sacrifice offert avec une dévotion réelle. Il est bon de choisir un gourou, un maître spirituel qu’on désire imiter et pour lequel on aura beaucoup de dévotion. Si un gourou veut avoir un ministère riche en moissons spirituelles, qu’il ne recherche pas la conduite des âmes, car les âmes viendront à lui au moment opportun. Le véritable moyen d’agir utilement, c’est de ne pas faire le maître ni de chercher à le paraître. Peu de paroles et de raisonnements sont nécessaires pour produire de grands effets, si un maître spirituel souhaite sincèrement que ses disciples aiment la vertu et que leur amour pour le Suprême Absolu soit pur et parfait. Sachez aussi, qu’il n’y a pas de meilleur gourou que la Gîtâ. L’âme en qui naît l’abstraction pourra marcher à sa perte, si elle tombe entre les mains d’un gourou sans expérience lui conseillant la discipline spirituelle. Tout cela nous prouve combien, dans la voie mystique et spirituelle, un guide expérimenté est nécessaire. Pour s’armer conter certains gourou, allez à l’adresse suivante : http://www.gita-society.com/guru4.htm

[16] Le verset 2.47 bien connu contient le principe essentiel du désintéressement. Quand nous accomplissons notre tâche, quelle soit comme paysan ou ouvrier, chanteur ou penseur, nous serons détournés du désintéressement si nous pensons à la renommée, ou aux revenus ou à toute autre considération extérieure. Mais rien ne vaut excepté la bonne volonté, l’accomplissement du dessein de Dieu.

[17] On doit agir avec une sérénité sans égale et dans l’indifférence pour les résultats. La personne qui agit en vertu d’une loi intérieure est à un degré plus élevé que celui dont l’action est à la merci de ses fantaisies.

[18] Un Karma yogi s’élève au-dessus de la morale et de sa distinction entre le bien et le mal ; il est libéré de l’égoïsme et par conséquent incapable de mal. La Gîtâ yoga est aussi l’égalité du mental dans le succès ou l’échec, chez lui qui est engagé dans l’accomplissement de ses devoirs, tandis que son mental demeure en le Suprême Absolu.

[19] Sthita-prajna : situation au plus haut niveau de la conscience mentale.

[20] Commentaires sur les versets 2.54 -55. Lorsque l’âme est anéantie, lorsqu’elle est complètement dépouillée, elle goûte dans son être supérieur une paix profonde et un délicieux repos, car c’est dans « la Présence » qu’il demeure. Dans cet heureux état, elle ne veut, elle ne désire que ce que veut et désire le Seigneur Kŗşna, et c’est dans cet esprit que l’âme accepte tous les événements, travaux et angoisses, ainsi que les consolations et les plaisirs. Une âme entrée dans le ciel de la paix se sent pleine du Suprême Absolu, comblée de dons surnaturels, parce que le pur amour est son appui, et qu’elle se plaît dans la lumière comme dans les ténèbres, dans le jour comme dans la nuit, dans l’affliction comme dans la consolation.

[21] Lorsque l’âme est dominée passionnément par les plaisirs de ce monde, sa mémoire est perdue, son intelligence obscurcie à tout ce qui est normal et naturel dans le cadre de la création et par conséquent des lois cosmiques, et l’homme va à sa ruine. Ce qui est nécessaire n’est pas l’isolement forcé du monde, ni la destruction de la vie sensible, mais une retraite à l’intérieur. Haïr les sens est aussi critiquable que les aimer.

[22] Quand tous les humains sont attirés par l’éclat des objets des sens, le sage est concentré dans la réalité. Il est éveillé à la nature du réel, à l’égard de laquelle le mondain est endormi ou indifférent. L’homme n’est dans l’illusion que quand il suit ses convoitises ou ses attraits, ses raisonnements, ses connaissances ou ses affections. Quelle heureuse fortune pour le yogi ou dévot de pouvoir ce délivrer de la maison de la sensualité mal dirigée. Le plan des contraires qui est le jour ou l’état d’activité pour le mondain, est nuit, ténèbres de l’âme, pour le yogi ou dévot.

[23] Brahma-nirvāna, c’est l’extinction de l’ego dans le plus haut Moi intérieur spirituel ; mieux encore, l’immersion du moi personnel dans l’existence infinie. L’âme ne saurait parvenir à l’union intime et affective avec le Suprême Absolu, si le cœur n’est pas net, si les sens ne sont pas purifiés. Il faut pour y atteindre que la mémoire soit vide, le mental éclairé, la volonté soumise et ardente, car le Suprême Absolu étant la pureté, la lumière et le repos même, ne peut accepter que l’âme totalement pure, le savoir juste, détachée, attentive et paisible. Le nirvana, c’est la libération ultime de l’âme qui l’unit éternellement au Suprême Absolu, Dieu le Seigneur Kŗşna.